L’histoire véridique du Manège militaire de Mont-Saint-Hilaire

Il était une fois un bâtiment imposant en briques rouges, sis au 514 de la Montée des Trente, que certains prennent souvent pour une ancienne école ou une bibliothèque. Atelier durant de nombreuses années du peintre des Amérindiens, André Michel, qui est aussi sculpteur, c’est aujourd’hui le siège social de la Fondation Ushket-André Michel.

Ce qui fait l’intérêt de ce bâtiment patrimonial, ce n’est pas son ancienneté quoiqu’une date, 1870, soit inscrite dans les registres de la ville, mais son utilisation et l’originalité de son emplacement, puisqu’il a été construit à distance respectable d’une base militaire. Habituellement, ce type d’édifice est toujours situé au centre des villes et dans ou à proximité d’une caserne.

Il faut savoir que la voie ferrée reliant Montréal à St-Hyacinthe a été terminée en 1848 et qu’en 1859 le pont Victoria fut ouvert à la circulation ferroviaire. Le train à vapeur permit alors à la population de la vallée de se rendre directement à Montréal comme aux Montréalais de venir passer des fins de semaines au bord de la rivière où se trouvaient de nombreux chalets, ou encore de se rendre sur la montagne et dans les vergers, en automne. C’est au cours de ces années que les publicités des hôtels et des auberges, des compagnies de navigation et des compagnies ferroviaires prennent une importance croissante dans les journaux. La pureté de l’air du mont Saint-Hilaire devient rapidement un élément de publicité touristique. On y écrira que ; « le site est entièrement libre des maladies inflammatoires, de l’asthme, de la fièvre des foins ou du choléra ; qu’il offre de grandes possibilités pour des personnes de constitution fragile ; que c’est l’endroit idéal pour une convalescence. » Un périodique américain, Américan Geographical, écrira « qu’on peut y respirer l’air le plus salubre des deux Amériques… »

La construction de la gare de St-Hilaire Station, situait à la jonction avec le Chemin des Trente, qui allait devenir la Montée des Trente, amena aussi, à cette époque, une intense animation économique. Un bureau de poste et plusieurs commerçants vinrent s’installer autour de la gare. Cet arrêt permit le chargement des pommes, du sirop d’érable et d’autres matériaux comme du bois de construction et de chauffage. On y expédiait également du foin et du lait vers la métropole et on y déchargeait le courrier pour la région pendant que les voyageurs descendaient du train afin de rejoindre les maisons voisines et les hôtels.

Si tout était concentré autour de la gare, il n’y avait aucune habitation mais plusieurs cabanes à sucre le long du Chemin des Trente.

En 1885, le Registre foncier du Québec mentionne une double transaction pour les mêmes lots, suite à un héritage. La deuxième transaction est enregistrée sous le numéro 17326 RB, entre Alniérie Privé qui revend les lots 102, 103 et 211 à Pierre Préfontaine, négociant, de la paroisse de St-Hilaire. Cet acte de vente mentionne l’acquisition du terrain et de ses dépendances ! Que sont ces dépendances ? Une grange qui sert d’entrepôt de pommes, une cabane à sucre et/ou les deux ?

En 1903, la veuve de Pierre Préfontaine, S. Beauchemin, revendra le tout à Amédée Larivée.

En 1911, M. Louis Ducharme, ébéniste mais aussi cultivateur, achète selon l’acte de vente, terrain et dépendances, d’Amédée Larivée. À la lecture de l’acte de vente on constate que, déjà, il y avait « une cabane à sucre et tout l’agrès de la sucrerie où l’érablière se trouvant sur ce terrain ». Il y ouvrira, deux ans plus tard, en 1913, la première cabane à sucre commerciale de la région, dans ce qui est aujourd’hui le Parc de l’érablière, site, depuis l’an 2000, du musée amérindien.

En 1953, Mme Gilberte Ducharme, devenue veuve, divisera le terrain et vendra, dans un premier temps, l’érablière et la cabane à sucre à M. Maurice Cardinal, puis elle lui vendra, en 1966, le bâtiment que les anciens appelaient le Manège militaire.

Si, à ce jour, personne ne peut dire qui a financé et pourquoi M. Ducharme a fait modifier ce bâtiment pour l’usage exclusif du Ministère de la défense nationale, plusieurs facteurs et indices nous apportent des raisons et des précisions sur l’année de sa transformation.

Brigadier Andrew Hamilton Gault

Brigadier Andrew Hamilton Gault

Est-ce à la demande et avec l’appui politique et financier du Brigadier Andrew Hamilton Gault, un brillant militaire de carrière, héritier de la fortune paternelle en 1903, qui a acheté, en 1913, le mont Saint-Hilaire des seigneurs Campbell ?

Le Brigadier Gault, qui au début vivait épisodiquement au Québec avait-il besoin d’un lieu pour ses propres réceptions dans la région, puisque ce n’est qu’en 1946 qu’il décida de s’installer définitivement à la montagne, en se faisant construire un petit chalet, près du lac, qui fut terminé au printemps 1947. Possiblement.

Il faut savoir qu’à cette époque, selon la Défense nationale du Canada, il n’était pas rare que des militaires biens nantis, construisissent leur propre manège militaire ou transforment des bâtiments existants pour leurs besoins.

Un lien militaire, unissait déjà le Brigadier Gault et Saint-Hilaire, son village d’adoption. En effet, en 1916, un monument commémoratif, avec dédicace, fut érigé par la petite municipalité afin d’honorer ses actions glorieuses au front lors de la guerre de 1914-1918.

Ce monument surmonté d’une mitrailleuse, était aussi un abreuvoir public. Il fut détruit une nuit d’été de 1940 par M. Dick Bernard, « un homme colérique, boiteux et ivrogne » parce que la plaque ne faisait état que de Hamilton Gault, omettant les noms des soldats Gaston Bédard, Dollard Church et René Poudrette (Source : Michel Clerk et Jim Bowman, archiviste du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry).

Monument commémoratif de la guerre 1914-1918

Lors de l’aménagement du sous-sol du bâtiment, au dos d’une vieille feuille de gypse posée au bas de la descente d’escalier, côté sud-est du bâtiment, on peut encore lire l’inscription 1944. Il faut savoir que dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, Andrew Gault fut rappelé pour le service actif et servit au sein de l’Armée canadienne en Angleterre. Il commanda une unité de maintien de renforcements de l’Armée canadienne jusqu’à ce que son état de santé le force à se retirer en 1942. Il retournera alors au Canada  vivre sur son domaine du mont Saint-Hilaire.

1944 Année de fabrication de la feuille de gypse, toujours visible dans la descente des escaliers du sous-sol.

Une autre raison majeure peut aussi expliquer le désir du Brigadier Gault d’avoir un lieu d’accueil pour d’autres militaires. En effet, en 1947, il fonda l’association du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry et servit comme son premier président national. Il fut nommé lieutenant-colonel honoraire du PPCLI en 1948 et en tant que premier colonel du régiment peu avant sa mort, le 28 novembre 1958, au mont Saint-Hilaire.

La date de 1944 confirmerait l’opinion des historiens locaux, des aînés hilairemontais rencontrés, et de la famille Cardinal, que ce serait bien lors de la guerre de 1939-1945, que M. Louis Ducharme, aurait fait aménager ce mess des officiers, destiné aussi à desservir une clientèle militaire stationnée à Saint-Jean-sur-Richelieu et à l’escadron de l’armée de l’air canadienne (RCAF) posté à St-Hubert. (Source : Claude Ducharme).

Le mess des officiers est un lieu de détente et de loisirs, soustrait à toute surveillance apparente, qui permettait à leurs membres de se réunir et de fraterniser à la fin d’une journée, pour une fin de semaine ou lors de réceptions intimes. Un mess est aussi une cantine, un restaurant militaire pour officiers et sous-officiers. Le mot mess fut emprunté à l’anglais au XVe siècle ; le terme anglais lui-même vient de l’ancien français mes (que l’on écrit mets en français moderne) issu du latin mittere. Le mess désignait au XIIIe siècle un plat cuisiné ou liquide (comme la bouillie ou la soupe), puis au XVe siècle un groupe de personnes mangeant ensemble.

Le bâtiment a été aménagé selon des spécifications très précises fournies certainement par le Ministère de la défense, dans les mêmes dimensions qu’il a encore aujourd’hui. C’est pourquoi l’imposante fondation de béton va en s’évasant vers l’extérieur. Les murs très épais sont percés d’un nombre important de fenêtres, douze à l’étage et onze au rez-de chaussée. Celles de la façade, qui donnent sur la montée des Trente, sont ornées sur les frontons de motifs décoratifs sculptés dans le granit. Des barres de fer protégeaient les fenêtres du sous-sol. À l’avant, du côté de la rue, d’immenses portes en bois aussi très épaisses donnent accès au bâtiment, à la façon des manèges militaires que nous retrouvons encore à certains endroits à Montréal et à Québec.

Au rez-de-chaussée, on retrouvait une grande salle qui occupait les 2/3 du bâtiment et dans l’autre tiers, côté sud-est, une grande cuisine était aménagée. À l’étage, il y avait une portion en dortoir avec des lits superposés en métal, et quatre autres chambres individuelles avec chacune un lavabo. Au sous-sol, dans le sens ouest-est, se trouvait une galerie de tir. Devant la fenêtre, côté sud-est, qui a été bouchée avec du béton après la construction des fondations, se trouvaient des cibles installées sur d’épais morceaux de poutres de cèdre (2’ X 1’), devant un remblai de sable, pour recevoir les projectiles. Des obus y auraient aussi été entreposés. Les militaires y venaient souvent en jeep et camion de l’armée, surtout les fins de semaine. (Source : André Olivièro et Gilles Cardinal).

Étrange coïncidence, l’utilisation du bâtiment comme manège militaire aurait cessé autour de 1958, année du décès du Brigadier Gault. C’est aussi, peu après 1958, que la veuve de Louis Ducharme aurait fait refaire la brique de la façade du bâtiment par un ami artisan briqueteur de St-Hyacinthe.

Monsieur et madame René Leclerc, posant devant
l’entrée du manège militaire, 1 juillet 1959.

Par la suite, jusqu’en 1966, sans modification de son intérieur, la grande salle du rez-de-chaussée, servira à d’autres activités : soirées de danse les fins de semaine sous le nom du Maringoin ; réceptions de mariage (Source : René Leclerc, qui y a célébré son mariage en 1959); réunions du Club de curling (source : Francine Lambert, bru de Laurent Charbonneau), comme salle de spectacles : plusieurs artistes comme Ti-Blanc Richard s’y seraient produits et on y dansait des sets carrés.

Salle de réception

En 1966, voulant profiter de la manne d’Expo 67 qui promettait l’arrivée dans la région d’une clientèle nombreuse dont les besoins de logement allaient s’étendre jusqu’à Mont-Saint-Hilaire, M. Maurice Cardinal acquiert de la veuve Poupart-Ducharme, le Manège militaire et le transforme en huit appartements. Malheureusement la manne n’a pas atteint Mont-Saint-Hilaire et le bâtiment devient un immeuble à appartements, style HLM. (Habitations à loyer modique pour personnes à faible revenu).

En 1999, le manège militaire est vendu à André Michel, qui en fera un atelier-résidence qu’il ouvrira au public, en 2016, pour mieux faire connaître, par diverses activités, l’histoire de ce bâtiment militaire et celle des Premières Nations. La grande salle portera alors un nom à double signification : La réserve, puisque construite à l’origine pour des militaires réservistes, mais aussi rappeler les tristes réserves amérindiennes. Des expositions, conférences, rencontres gratuites s’y tiennent régulièrement.

Chaîne des titres

  • 1870, est la date que l’on retrouve dans le dossier foncier de la ville sans aucune autre indication.
  • 1885, le 18 mai il y a une première transaction enregistrée le 23 juin, sous le numéro 17325RB ou le couple formé de Célinia Bernard, épouse de Alniérie Privé, hôtelier à St-Hyacinthe hérite de Authime Bernard, « employé de chemin de fer en son vivant, de St-Hilaire » des lots 102, 103 et 211 du cadastre de St-Hilaire, qui longeait le Chemin des Trente.
  • 1885, le 25 mai il y a une deuxième transaction enregistrée aussi le 23 juin, sous le numéro 17326RB, entre Alniérie Privé qui revend les mêmes lots à Pierre Préfontaine, négociant, de la paroisse de St-Hilaire. L’acte de vente mentionne l’acquisition du terrain et de ses dépendances.

Pierre Préfontaine, est un commerçant originaire de Beloeil, fils d’Antoine et Adelaïde Lambert, neveu du patriote Pierre Hébert, dit Lambert, marié à Séraphine Beauchemin, elle-même petite-nièce de ce même patriote par sa mère, qui est décédé. Comme il était propriétaire d’une auberge qui portait le nom d’Hôtel Commercial avant de s’appeler Hôtel Balmoral, a la piètre réputation, sur le lot 100, la sucrerie de M. Ducharme était donc située sur le lot 103 comprenant le terrain du futur manège militaire. Un tout petit terrain portant le no 102 sépare les deux lots. Rappelons que M. Pierre Préfontaine était l’un des rares propriétaires d’auberge à détenir, avec Bruce Campbell, un permis pour vendre et servir de l’alcool.

  • 1903, le 9 juin c’est l’épouse de Pierre Préfontaine, Séraphine Beauchemin, devenue veuve, qu’on retrouve dans les archives sous le nom de S. Beauchemin, qui revendra la terre à Amédée Larivée. La transaction qui porte le numéro 28943 RB sera enregistrée le 17 juillet 1903.
  • 1911, le 17 novembre Amédée Larivée revendra à Louis Ducharme, entrepreneur-menuisier et cultivateur. La transaction sera enregistrée le 12 décembre 1912 sous le numéro 35316. À la lecture de l’acte de vente on constate que, déjà, il y avait « une cabane à sucre et tout l’agrès de la sucrerie où l’érablière se trouvant sur ce terrain ». Louis Ducharme ouvrira en 1913 la première cabane à sucre commerciale de la région. Il décédera en 1950.
  • 1953, le 7 avril, la veuve Gilberte Poupart-Ducharme séparera les lots, et vendra, dans un premier temps, à Maurice Cardinal, pomiculteur, la sucrerie et l’érablière, site de La Maison amérindienne (enregistrée sous le numéro 74805).
  • 1966, le 30 novembre, elle vendra par la suite, également à Maurice Cardinal, le bâtiment du Manège militaire et le terrain adjacent (enregistrée sous le numéro 99708 le 1er février 1967).
  • 1999, le 2 juillet, le peintre-sculpteur André Michel et son épouse d’alors, Mme Hélène Bouchard, acquerront la bâtisse pour en faire un atelier de sculpture. En 2002, après la séparation du couple, l’artiste qui en héritera officiellement le 29 avril 2003, décidera d’en faire son atelier d’artiste et sa résidence personnelle.
  • 2015, l’édifice devient officiellement le siège social de la Fondation Ushket-André Michel. La salle d’exposition La réserve ouvre régulièrement ses portes à des groupes de visiteurs pour des expositions, rencontres-échanges et conférences.

Sources diverses : Pierre Gadbois et Pierre Lambert, historiens, Registre foncier du Québec, Université McGill, Michel Litalien, Gestionnaire du programme, Musées des Forces canadiennes et collections historiques, Jim Bowman, archiviste du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, Claude Ducharme et Gilles Cardinal, fils des anciens propriétaires.